Le printemps québécois est dans nos murs
une reine de carré rouge
s’avance dans le Nouveau Monde
en cotte de maille et de dentelle
Elle marche à travers le temps
sur les trottoirs ensoleillés
d’une ville du Nord
sous un ciel sans nuages
errante tatouée
aux portes de la ville souterraine
manitou autochtone
au visage de cuir tanné
cheveux au vent
les oreilles bourdonnantes
de la musique du monde
dans un jour de lumière aux odeurs de fast food
survivante, les yeux pleins d’eau
dans une ville-marie hallucinée
windigos chiens d’or
carcajous des ruelles
chats sauvages des parkings
Elle marche à l’amour
dans une volée de cloches
et le bip-bip des trucks de recyclage
s’arrête à un coin de rue
et chante bilinguale
Troubadoure d’armoure tremblante
Je chante
Une viole d’amour dans les bras
Un passant met une pièce
dans la main de l’aveugle
Montréale chante et tu l’entends, poète
Tu l’entends
listen to the pitch of her step
Un sans-abri titube
et marmonne son écholalie
sous le porche de la Grande Bibliothèque
ils sont deux traders courtiers
experts en communication
dans une Samarcande multinationale
à trafiquer un chargement de sens
l’un fait de la com
en composant un tweet sur son cell
l’autre c’est toi, poète,
toi qui te tiens à la frontière
Speak white!
Avide de sons
un fleuve noir d’orgone dans tes yeux de faune
tu fais passer deux mondes l’un dans l’autre
tu écoutes le cri de la Bête
les rugissements de la faim
de la soif du besoin
mantras des étudiants
acrobates du métro
fakirs urbains cracheurs de feu
Libérées de leurs illusions
des filles aux cheveux rouges
se retrouvent dans un terrain vague
pour organiser la manifestation
puis elles occupent Montréal
lionnes solaires en mouvement
des lamentations de cour des miracles
montent du ventre de la ville
caravansérail de puanteurs d’essence
sirènes d’ambulance gyrophares
violence des logos
signatures occultes
sur des blocs de béton
la ville change de couleur
Ton corps le sait poète ton corps le sait
tu sens le souffle des gorgones
sur ta nuque
chimères astrales au bord du gouffre
de ta gorge
Soudain deux ballerines
en tutus rouges vont allègres
bras dessus bras dessous
dans le miracle de la beauté
comme dans une boîte à musique
en un tour de passe-passe
tu franchis la passerelle qui mène à elles
et tu souris poète ravi
Vêtu de peaux de bêtes
un vieil homme inspiré
semble sortir tout droit
d’une forêt profonde
chamane traquant les courants telluriques
du centre-ville
illuminé de l’intérieur
il fend la foule du métro
on dirait qu’il sait quelque chose
qu’on lui aurait révélé en haut lieu
sous le sceau du secret le plus absolu.
Tu marches vers la montagne
la sève du printemps tu l’entends dans les arbres
et dans les rires
un punk à la crête ondoyante
fume sur le trottoir
la cavalcade des Messagères du Temps
se déchaîne sur son visage
scarifié de piercings
vos regards se croisent
De grands draps de lumière boréale
flottent sur la ville rouge
tu te loves poète
dans une délicate opération
tu synthonises
tu balances le son
ton corps le sait poète ton corps le sait
La rumeur qui monte de Montréal tourne
sept fois dans ta bouche poète
et tu te tais hiératique de vérité
nous entrons dans le fleuve mère
alertés par le nuage de smog
Montr
éale ville sauvage bilinguale
chante sa glossolalie
et tu l’entends poète tu l’entends
Troubadoure d’armoure tremblante
Je chante
Une viole d’amour dans les bras
*Variante du 21 mars 2012
de «Fakirs urbains» L’armoure
Écrits des Forges/Le Temps des Cerises
Montréal et Pantin (France), 2009, 83p.
Lue à l’édifice Gaston-Miron
du Conseil des arts de Montréal
dans le cadre de la lecture
21 poètes pour le 21e siècle
organisée par Claude Beausoleil
Poète de la Cité
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