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Dans la caverne préhistorique

16 Juil

1-Tipi

Dans la réalité ordinaire, je participe à une hutte de sudation menée par la chamane Loumitea lamessageredevie.com, praticienne du chamanisme essentiel enseigné par l’anthropologue américain Michael Harner shamanism.org. Nous sommes 21 personnes à nous retrouver sur une terre de 35 acres à Val David en ce samedi de juillet. Après quelques rituels préparatoires, nous déposons dans le feu les roches que les Amérindiens appellent les « grands-pères » et les « grands-mères » car ce sont les « êtres » les plus anciens de la création.

Au son de nos tambours et de nos hochets, la gardienne du feu allume le brasier. Après un cercle  de paroles, nous pénétrons respectueusement dans la hutte dont le sol en terre battue est recouvert de sapinage. Au centre, un trou a été creusé pour y déposer les pierres rougeoyantes que la gardienne du feu transporte avec une fourche et que la chamane fait rouler dans le trou à l’aide de deux panaches d’animal. Loumitea demande alors à la gardienne du feu de fermer la porte de la hutte.

On se retrouve, silencieux, plongés dans une obscurité totale. J’entre dans une réalité non ordinaire. Nous sommes au début des temps, dans une caverne. J’entends la chamane expliquer qu’elle dépose du tabac sur les pierres chaudes et que les parfums de cette plante subtile nous permettront de respirer la sagesse des grands-pères ef des grands-mères sur lesquelles elle jette aussi du foin d’odeur, de la racine d’ours, du copal et une décoction de cèdre qui crée une vapeur remplie d’oxygène.

Un cheval au galop me transporte soudain par-dessus la frontière entre deux réalités : celle d’un cheval de ferme qui passe à côté de la hutte et celle d’un cheval préhistorique dessiné sur la paroi, un cheval aux yeux phosphorescents dont les sabots étincèlent de poussières d’étoiles.

Cinq heures plus tard, après avoir respiré à fond pendant tout ce temps, on sort de la hutte pour revenir à la réalité ordinaire. J’ai l’impression que le temps a disparu. La caresse du vent et l’eau de la cascade lavent tout reste de fatigue.

Chantier de préparation d’un manuscrit (37)

13 Mar

37-Totempoésie

Installation de Virginie Pésémapéo Bordeleau (Jardin botanique de Montréal circa 2002), photo Y.V.

13 mars 2015, 19h13

En lisant la chronique de Josée Blanchette dans Le Devoir ce matin, j’accroche tout de suite à sa remarque disant que les trois quarts des Québécois auraient du sang amérindien et à la bande-annonce du film L’empreinte: 

Je saute dans un taxi pour attraper la séance de midi et demi.

Le documentaire de Carole Poliquin et Yvan Dubuc est fascinant, les entrevues de Roy Dupuis avec des anthropologues, des professeurs d’histoire, de science politique et de gestion, avec une juge, une psychanalyste, une poète innue, une animatrice de garderie, le directeur d’une coopérative forestière sont profondément émouvantes.

J’adore particulièrement la fin. Roy Dupuis demande à Nicole O’bomsawin, anthropologue abénakise: «C’est quoi, être abénaki maintenant?» Elle répond, rieuse: «C’est quoi être québécois?» Et l’autre de se taper dans les mains, joyeux, ravi de sa réponse.

J’écris un nouveau fragment qui fait suite à celui que j’ai écrit hier et que ce documentaire sur les valeurs héritées de nos ancêtres amérindiens a nourri d’une nouvelle profondeur.

Chantier de préparation d’un manuscrit (36)

9 Mar

36-Déesse bleue

 9 mars 2015, 16h45

Dans une de mes listes Twitter, quelqu’un a retweeté un lien vers un dispositif de lecture du réseau sémantique d’un texte. Fascinant!. On n’a qu’à taper un texte et à cliquer sur «visualiser» pour voir apparaître un intéressant graphique mettant en relation les différents mots du texte. Malheureusement, je constate rapidement que ça ne fonctionne qu’en anglais.

J’écris un paragraphe que le dispositif me permet ensuite de visualiser en mettant l’accent sur certains mots:

Hieroglyphs of experiments take us into a time lapse visualization of our waltzing between our past and future selves. Using Textexture, a network text reading device, I write in international English a few sentences that I’m walking the frontier between digital natives virtual worlds and ancient literary worlds of books printed on paper, engravings on clay tablets and red and black ink drawings on papyrus. A scribe from a subtle world looks at my screen from behind my shoulder, coaching me into translating this into my maternal language and using it as a fractal in my novel about time. I will then proceed to describe the nodes of the graph where lines intersect.

 

(Les hiéroglyphes des expérimentations nous entraînent dans une visualisation en accélération temporelle de nos identités passées et présentes. Utilisant Textexture, un dispositif de lecture du réseau d’un texte, j’écris en anglais international que je marche sur la frontière entre les mondes virtuels des natifs digitaux et les anciens mondes des livres imprimés sur papier, des inscripions sur tablettes d’argile et des dessins à l’encre rouge et noire sur papyrus. Un scribe d’un monde subtil regarde mon écran, derrière mon épaule, m’incitant à traduire ceci dans ma langue maternelle et à l’utiliser comme fractale dans mon roman. Je vais ensuite entreprendre de décrire les noeuds du graphique où les lignes s’entrecroisent.

Ça donne, relié au mot WORLD, en vert lime: tablet, scribe, subtle, paper, clay, papyrus (tablette,scribe, subtil, argile, papyrus) et si on clique sur TIME, en rose: maternal, fractal, translate, language (maternelle, fractale, traduire, langue) Mais si on clique de nouveau, ça brasse les couleurs et ça revient distribué autrement…

Ça me rappelle irrésistiblement les énigmatiques diagrammes du Robert Strati dans Creating Civilizations: http://creatingcivilizations.tumblr.com/

Creating Civilizations is an attempt to create stability in a chaotic world (Creating Civilizations est une tentative de créer de la stabilité dans un monde chaotique), déclare-t-il dans une entrevue au sujet de l’origine de son projet. We map out these things to give us a sense of grounding and stability. (Nous cartographions ces choses pour nous donner un sens d’ancrage et de stabilité).

C’est exactement ce que je cherche dans ce chantier de préparation du manuscrit: m’ancrer dans une forme de stabilité. D’autant plus que je suis en train d’écrire en anglais, un poème intitulé Dismantling… Depuis plus d’un mois maintenant, mon chantier est traversé de mille et une choses. Je compose encore assez élégamment avec tout ça, mais ça ralentit beaucoup le processus.

Dans son texte mis en ligne fin janvier, Robert Strati écrit: In the civilizations I have created there are thresholds subtle and almost invisible. They are engineered in the slight gradations of roads and the shifting hues of brick. These are architected to align with transitions, which occur within the self so a sense of unity is drawn. Often openings to great boulevards and beginnings emerge from minuscule movements in form and flow. (Dans les civilisations que j’ai créées, il y a des seuils subtils et presque invisibles. Ils sont produits par de légères dénivellations des routes et la variation des nuances de la brique. Celles-ci sont architecturées pour s’aligner avec les transitions, qui surgissent à l’intérieur de soi de sorte qu’on en tire un sentiment d’unité. Souvent, les ouvertures à de grands boulevards et commencements émergent de minuscules mouvements de forme et de flow. )

Juste avant qu’on ne parte en promenade au soleil vers la rivière encore gelée, le poète remarque au plafond de son bureau un reflet d’un très beau bleu qu’il n’a jamais observé. On cherche d’où ça peut bien venir. Je m’avise que ça reflète sans doute le tableau que lui a offert Michel Goulet récemment et que, ne sachant où l’installer, il a temporairement déposé sur un meuble. Je me rappelle vaguement que l’artiste lui a expliqué qu’il a travaillé à partir d’un filtre mis au point par la NASA. En retournant le cadre, je lis le titre: Le temps invariable (jusqu’alors) 2014. Filtre dichroïde et attaches métalliques 43 x43 cm.

Je propose alors qu’on pose le tableau à plat sur la petite table en verre du salon. L’effet est un peu étrange car la table est ronde, mais le reflet sur le plafond du salon est de toute beauté: on dirait une déesse égyptienne aux ailes de lapis lazuli en plein vol!

Le temps de prendre quelques photos, on se retrouve dehors une heure plus tard, mais le soleil est encore éblouissant: on vit désormais à l’heure avancée d’été! J’en profite pour confier au poète mes peurs les plus profondes, ces peurs ataviques qui me font perdre de vue mon objectif de mettre au monde ce roman dont la gestation aura duré six ans et qui constitue un manuscrit de plusieurs centaines de pages. Tout à coup, j’ai un flash de ce que je dois ajouter au deuxième chapitre pour l’équilibrer. Je le dis à haute voix pour mémoriser, puis je m’arrête pour prendre quelques notes sur mon téléphone, assez longtemps pour me geler un peu les doigts.

1- Unité rythmique

2- Bleu : filtre dichroïde /burqas de chair  /textexture

3- pacte de lecture

Au retour de notre promenade, le poète retrouve le courriel dans lequel Michel Goulet explique le matériau avec lequel il a travaillé: «C’est une dentelle découpée dans un filtre dichroïde, une pellicule presque magique, transparente, qui change les couleurs selon l’angle de vue et dont la lumière réfléchie ainsi que la lumière transmise apparaissent à l’oeil comme couleurs complémentaires changeantes. Ce matériau rare que j’ai le privilège d’expérimenter a été inventé par la NASA comme filtre de tous les spectres lumineux. »

Chantier de préparation d’un manuscrit (28)

28 Jan

28-Vladimir Milanovic

Gravure de l’artiste serbe Vladimir Milanović  

28 janvier 2015, 16h44

Passé une partie de la journée à travailler avec le poète à un texte en prose qu’il prépare pour poser sa candidature à un programme de résidence d’écrivain.

Il m’a ensuite aidée à réviser le poème inspiré par la célèbre gravure Melencolia de Dürer. C’est dans le cadre d’un projet pour le Biennale d’estampe de Trois-Rivières où je suis jumelée avec l’artiste serbe Vladimir Milanović qui m’a fait parvenir son inspirante gravure depuis un moment déjà.

Comme il ne parle pas français, j’avais d’abord fait un poème en anglais. Le livre publié aux Écrits des Forges sera en français, d’où la nouvelle version. Ce n’est pas du tout la traduction de mon premier poème en fait, car l’interprétation de l’artiste m’a réorientée.

En corrigeant le chapitre huit, je tombe sur cette allusion à un site que je n’ai pas consulté depuis longtemps et où je lis cette merveilleuse citation mise en ligne il y a dix-huit heures:

«In the civilizations I have created there are thresholds subtle and almost invisible. They are engineered in the slight gradations of roads and the shifting hues of brick. These are architected to align with transitions, which occur within the self so a sense of unity is drawn. Often openings to great boulevards and beginnings emerge from miniscule movements in form and flow

J’ajoute le site Web à mes signets pour continuer à le consulter pendant mon chantier de préparation du manuscrit, comme je le faisais régulièrement pendant l’écriture de ce chapitre. C’est très inspirant!

Je m’arrête vers 17h48, un peu ankylosée. J’ai oublié de mettre le minuteur pour me rappeller de danser aux quarante minutes…