
9 mars 2015, 16h45
Dans une de mes listes Twitter, quelqu’un a retweeté un lien vers un dispositif de lecture du réseau sémantique d’un texte. Fascinant!. On n’a qu’à taper un texte et à cliquer sur «visualiser» pour voir apparaître un intéressant graphique mettant en relation les différents mots du texte. Malheureusement, je constate rapidement que ça ne fonctionne qu’en anglais.
J’écris un paragraphe que le dispositif me permet ensuite de visualiser en mettant l’accent sur certains mots:
Hieroglyphs of experiments take us into a time lapse visualization of our waltzing between our past and future selves. Using Textexture, a network text reading device, I write in international English a few sentences that I’m walking the frontier between digital natives virtual worlds and ancient literary worlds of books printed on paper, engravings on clay tablets and red and black ink drawings on papyrus. A scribe from a subtle world looks at my screen from behind my shoulder, coaching me into translating this into my maternal language and using it as a fractal in my novel about time. I will then proceed to describe the nodes of the graph where lines intersect.
(Les hiéroglyphes des expérimentations nous entraînent dans une visualisation en accélération temporelle de nos identités passées et présentes. Utilisant Textexture, un dispositif de lecture du réseau d’un texte, j’écris en anglais international que je marche sur la frontière entre les mondes virtuels des natifs digitaux et les anciens mondes des livres imprimés sur papier, des inscripions sur tablettes d’argile et des dessins à l’encre rouge et noire sur papyrus. Un scribe d’un monde subtil regarde mon écran, derrière mon épaule, m’incitant à traduire ceci dans ma langue maternelle et à l’utiliser comme fractale dans mon roman. Je vais ensuite entreprendre de décrire les noeuds du graphique où les lignes s’entrecroisent.
Ça donne, relié au mot WORLD, en vert lime: tablet, scribe, subtle, paper, clay, papyrus (tablette,scribe, subtil, argile, papyrus) et si on clique sur TIME, en rose: maternal, fractal, translate, language (maternelle, fractale, traduire, langue) Mais si on clique de nouveau, ça brasse les couleurs et ça revient distribué autrement…
Ça me rappelle irrésistiblement les énigmatiques diagrammes du Robert Strati dans Creating Civilizations: http://creatingcivilizations.tumblr.com/
Creating Civilizations is an attempt to create stability in a chaotic world (Creating Civilizations est une tentative de créer de la stabilité dans un monde chaotique), déclare-t-il dans une entrevue au sujet de l’origine de son projet. We map out these things to give us a sense of grounding and stability. (Nous cartographions ces choses pour nous donner un sens d’ancrage et de stabilité).
C’est exactement ce que je cherche dans ce chantier de préparation du manuscrit: m’ancrer dans une forme de stabilité. D’autant plus que je suis en train d’écrire en anglais, un poème intitulé Dismantling… Depuis plus d’un mois maintenant, mon chantier est traversé de mille et une choses. Je compose encore assez élégamment avec tout ça, mais ça ralentit beaucoup le processus.
Dans son texte mis en ligne fin janvier, Robert Strati écrit: In the civilizations I have created there are thresholds subtle and almost invisible. They are engineered in the slight gradations of roads and the shifting hues of brick. These are architected to align with transitions, which occur within the self so a sense of unity is drawn. Often openings to great boulevards and beginnings emerge from minuscule movements in form and flow. (Dans les civilisations que j’ai créées, il y a des seuils subtils et presque invisibles. Ils sont produits par de légères dénivellations des routes et la variation des nuances de la brique. Celles-ci sont architecturées pour s’aligner avec les transitions, qui surgissent à l’intérieur de soi de sorte qu’on en tire un sentiment d’unité. Souvent, les ouvertures à de grands boulevards et commencements émergent de minuscules mouvements de forme et de flow. )
Juste avant qu’on ne parte en promenade au soleil vers la rivière encore gelée, le poète remarque au plafond de son bureau un reflet d’un très beau bleu qu’il n’a jamais observé. On cherche d’où ça peut bien venir. Je m’avise que ça reflète sans doute le tableau que lui a offert Michel Goulet récemment et que, ne sachant où l’installer, il a temporairement déposé sur un meuble. Je me rappelle vaguement que l’artiste lui a expliqué qu’il a travaillé à partir d’un filtre mis au point par la NASA. En retournant le cadre, je lis le titre: Le temps invariable (jusqu’alors) 2014. Filtre dichroïde et attaches métalliques 43 x43 cm.
Je propose alors qu’on pose le tableau à plat sur la petite table en verre du salon. L’effet est un peu étrange car la table est ronde, mais le reflet sur le plafond du salon est de toute beauté: on dirait une déesse égyptienne aux ailes de lapis lazuli en plein vol!
Le temps de prendre quelques photos, on se retrouve dehors une heure plus tard, mais le soleil est encore éblouissant: on vit désormais à l’heure avancée d’été! J’en profite pour confier au poète mes peurs les plus profondes, ces peurs ataviques qui me font perdre de vue mon objectif de mettre au monde ce roman dont la gestation aura duré six ans et qui constitue un manuscrit de plusieurs centaines de pages. Tout à coup, j’ai un flash de ce que je dois ajouter au deuxième chapitre pour l’équilibrer. Je le dis à haute voix pour mémoriser, puis je m’arrête pour prendre quelques notes sur mon téléphone, assez longtemps pour me geler un peu les doigts.
1- Unité rythmique
2- Bleu : filtre dichroïde /burqas de chair /textexture
3- pacte de lecture
Au retour de notre promenade, le poète retrouve le courriel dans lequel Michel Goulet explique le matériau avec lequel il a travaillé: «C’est une dentelle découpée dans un filtre dichroïde, une pellicule presque magique, transparente, qui change les couleurs selon l’angle de vue et dont la lumière réfléchie ainsi que la lumière transmise apparaissent à l’oeil comme couleurs complémentaires changeantes. Ce matériau rare que j’ai le privilège d’expérimenter a été inventé par la NASA comme filtre de tous les spectres lumineux. »