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Dans le monde inversé de l’eau

10 Juin

Rivière du Nord, 9 août 2018 (grand format)

LIMINAIRE

Ils viennent peut-être du futur de l’anthropocène

l’eau est assez rare pour qu’ils soient fascinés par cette rivière

nous ne sommes, nous, qu’au début de la sixième extinction

il fait déjà trop chaud pour la mi-septembre

cette année-là, il n’y aura pas d’été des Indiens

la rivière, étroite et sinueuse, se perd dans les hautes herbes

le niveau d’eau est bas

quand elle coule sur les roches qui affleurent

la rivière chantonne

c’est ce murmure de l’eau qui les a d’abord attirés

le son est rare dans le désert qu’ils traversent

ils sont trois peut-être, montés sur des chevaux

ils se sont arrêtés devant ce mirage

et je les vois, moi, dans le monde inversé de l’eau

Pour célébrer le solstice

21 Déc

Photo via @STONEHENGE

Dans le rêve, je croise la chamane dans la bouche du métro. Elle est en costume: porte ses mocassins, un vêtement cérémoniel, des peaux, des plumes, son tambour d’une main, son hochet de l’autre. Je me rends dans un festival. Elle en arrive. Ils étaient plusieurs à l’aube, pour célébrer le solstice.

L’arbre

19 Déc

Je me lève au coeur de la nuit, alertée par quelque chose d’impalpable qui altère la texture de l’espace. C’est l’arbre. Silhouette noire et massive dans l’angle du salon, le sapin Fraser a déployé ses branches gelées. C’est encore un être sauvage chargé d’un parfum de forêt. Je m’approche doucement, attentive, main levée pour caresser le silence qui émane de l’arbre. Je me rendors sans avoir réussi à décrypter son secret.

Sur la photo prise ce matin, il garde tout son mystère.

Chamane du Nord

13 Déc

miron

Dans cet éblouissant premier hiver

la grande neigeur de ta disparition

nous sommes en deuil national de toi

homme croa-croa  

chamane du Nord 

rendu à ton aurore boréale 

à la lumière du Mystère 

Le froid souffle sur le cimetière de clarté

de Sainte-Agathe-des-Monts

Manitou magnifique

tu ouvres full grand les bras

pour prendre sur ton coeur brûlé

toute l’âme d’ombre des moins de vingt ans

qui voudraient se coucher sur les tracks

offrir leur détresse au firmament 

et s’abandonner au grand flash de la Mort

Poète de notre noirceur

tu veilles 

au seuil du Cap Éternité

(1997)

Dans les mois suivant la disparition de Gaston Miron le 14 décembre 1996, j’ai écrit ce poème en hommage au poète. J’enseignais alors la communication dans un cégep de l’Ouest de Montréal où j’étudiais L’homme rapaillé: les poèmes, mais aussi les textes sur la langue. J’avais invité Gaston Miron à venir rencontrer mes étudiants à quelques reprises et ils l’adoraient. 

Ils avaient moins de vingt ans et l’une d’entre elles avait évoqué dans un exposé oral le suicide d’une de ses amies morte d’horrible façon. La classe était en larmes et l’effet était tel que j’avais dû interrompre le cours pour éviter la contagion. C’était moins d’un an après le référendum de 1995. Quand une revue m’a demandé un hommage au poète disparu, je venais d’assister aux émouvantes funérailles nationales de Gaston Miron dans sa ville natale et j’ai tout de suite pensé à ces jeunes désespérés à qui il avait insufflé un tel espoir de retrouver l’avenir. 

Le poème est ensuite paru dans mon recueil D’ambre et d’ombre publié aux Écrits des Forges en 2000 et réédité en poche en 2003. J’évoque aussi ces années d’enseignement de l’oeuvre de Gaston Miron dans mon roman Des petits fruits rouges paru en 2001 dans la collection « Hiéroglyphe » que je dirigeais chez XYZ éditeur et traduit en anglais par Leonard Sugden sous le titre Little Red Berries chez Ekstasis Editions en 2008.

Dans le monde inversé de l’eau (notes)

29 Juil

Notes de voyages dans la réalité non-ordinaire

L’esprit de la lune

Lune inversée

Je suis la lune pleine

Blanche de fulgurances

De révélations

De lumière et de grandes marées

Dans le coeur et dans les veines

Je suis la lune pleine

Je décrois en pente douce

De demi-lune en croissant

Je décrois sans résistance

Lente et douce

Je décrois jusqu’à disparaître

Je suis la lune noire

Des sortilèges et des secrets

De ce qui se trouve de l’autre côté

De tout le travail invisible des bêtes

Des criquets, des libellules

Des lucioles magiques

Je suis la Grande Occulte

Je cache et je protège

Je suis la lune noire

Je suis la lune croissante

Comme une joie qui monte

Dans les reins

L’enthousiasme, l’énergie

L’ardeur au travail

Je croîs jusqu’à éclater

De lumière et de brillance

Je croîs, je croîs 

Et je suis pleine

Encore une fois

Dans le monde inversé de l’eau (notes)

27 Juil

Notes de voyages dans la réalité non-ordinaire

Photo 2

L’esprit du vent

L’esprit du vent transporte

Le soupir millénaire des pierres

La respiration des arbres

Le murmure du ruisseau

L’esprit du vent porte

La couleur des fleurs

Le chant d’une âme

Le contact avec les disparus

Une branche morte qui tombe

Et te montre ta place

La peur qui t’agrippe dans le dos

Quand tu entends des pas derrière toi

Un avion dans le ciel

Dans le monde inversé de l’eau (notes sur « La batèche » de Gaston Miron)

25 Juil

Notes de voyages dans la réalité non-ordinaire

Photo 1bis

Dans le cadre de l’atelier «Les esprits de la nature» donné par la chamane Loumitea  http://www.lamessageredevie.com/ à La Chaumière Fleur-Soleil de Val David les 23 et 24 juillet 2016.

Avant d’entreprendre la transcription des quelques notes qui ont souvent pris la forme de poèmes nourris par les enseignements du chamanisne essentiel de Michael Harner http://www.shamanism.org/  et par l’intelligence collective des participants, je voudrais d’abord présenter le plus beau poème chamanique que je connaisse. Il s’agit de «La batèche» de Gaston Miron: http://lapoesiequejaime.net/miron_I.htm#sequences

Dans un de mes voyages au son des tambours de Loumitea et de son assistante Vikki Walker, j’ai rencontré « l’homme croa croa ». La référence semblant échapper à la plupart ( dont une jeune femme d’origine russe et un couple suisse de passage ), je vais d’abord commencer cette série de textes que j’ai intitulée Le monde inversé de l’eau par un extrait de ce grand poème du premier poète québécois à qui on ait fait des funérailles nationales.

C’est dans « La batèche » qu’on trouve l’expression « l’homme croa-croa ». Bien que Gaston Miron—né à Sainte-Agathe des Monts en 1928 et décédé en 1996— n’aurait  probablement pas revendiqué cet aspect chamanique de sa poésie, il avait de toute évidence quelques gouttes de sang autochtone comme beaucoup de Québécois « de souche ». C’est ce savoir ancestral que j’entendais affleurer dans sa poésie quand il la récitait en public. Et c’est particulièrement sensible dans ce passage de «La batèche»:

Les lointains soleils carillonneurs du Haut-Abitibi

s’éloignent emmêlés d’érosions

avec un ciel de ouananiche et de fin d’automne

ô loups des forêts de Grand-Remous

votre ronde pareille à ma folie

parmi les tendres bouleaux que la lune dénonce

dans la nuit semée de montagnes en éclats

de sol tracté d’éloignement

j’erre sous la pluie soudaine et qui voyage

la vie tiraillée qui grince dans les girouettes

homme croa-croa

toujours à renaître de ses clameurs découragées

C’est dans la « ronde des loups » que le poète voit surgir « l’homme croa-croa » ce Québecanthrope qui « peine dans son manque de mots et de pensée » comme l’écrit ailleurs Miron dans L’homme rapaillé. Et c’est sous un ciel de ouananiche et de fin d’automne que le poète fusionne avec l’homme-corbeau qui croasse sa langue de Damned Canuck de damned de Canuck de pea soup et se libère de la raque des amanchures des parlures et des sacrures/ [ lui ] le raqué de partout batèche / nous les raqués de l’histoire batèche.

Quand elle danse (1)

28 Déc

 

Dans la lumièreJe transparais

Dans la lumière

Quand elle danse

Le totem du chevreuil

31 Juil

image
Une des très hautes épinettes au bord du chemin est tombée il y a quelques jours, abattue par la tempête. Elle doit être débitée en rondins, mais gît encore dans notre entrée pour l’instant, longue carcasse végétale. Cet après-midi, tandis qu’on bavardait à l’ombre, le poète a murmuré: « Un chevreuil… » Nous sommes restés silencieux et immobiles. Le jeune animal s’est approché, curieux, de l’épinette étalée de toute sa longueur, a humé les cocottes noires au faîte de l’arbre, puis s’est avancé vers nous pour se délecter des aiguilles tendres.

On retenait notre souffle. Il a dû flairer notre odeur, car il a levé la tête et nous a regardés, ses oreilles à l’attention. Tranquillement, il a changé de direction et contourné le chalet. Je me suis emparée de mon téléphone et on l’a retrouvé dans le bois. Le chevreuil me voyait prendre des photos, mais ça ne semblait pas l’inquiéter. Il continuait à brouter quelques feuilles. Il s’est même rapproché de moi. J’ai zoomé sur sa belle tête surmontée de bois naissants. Il a levé son regard vers moi et m’a laissé le photographier à plusieurs reprises. Puis il s’est avancé, a sauté pour rejoindre le chemin et est entré dans la forêt en quelques gracieux bonds. Mon coeur a bondi de joie dans ma poitrine.

Dans la caverne préhistorique

16 Juil

1-Tipi

Dans la réalité ordinaire, je participe à une hutte de sudation menée par la chamane Loumitea lamessageredevie.com, praticienne du chamanisme essentiel enseigné par l’anthropologue américain Michael Harner shamanism.org. Nous sommes 21 personnes à nous retrouver sur une terre de 35 acres à Val David en ce samedi de juillet. Après quelques rituels préparatoires, nous déposons dans le feu les roches que les Amérindiens appellent les « grands-pères » et les « grands-mères » car ce sont les « êtres » les plus anciens de la création.

Au son de nos tambours et de nos hochets, la gardienne du feu allume le brasier. Après un cercle  de paroles, nous pénétrons respectueusement dans la hutte dont le sol en terre battue est recouvert de sapinage. Au centre, un trou a été creusé pour y déposer les pierres rougeoyantes que la gardienne du feu transporte avec une fourche et que la chamane fait rouler dans le trou à l’aide de deux panaches d’animal. Loumitea demande alors à la gardienne du feu de fermer la porte de la hutte.

On se retrouve, silencieux, plongés dans une obscurité totale. J’entre dans une réalité non ordinaire. Nous sommes au début des temps, dans une caverne. J’entends la chamane expliquer qu’elle dépose du tabac sur les pierres chaudes et que les parfums de cette plante subtile nous permettront de respirer la sagesse des grands-pères ef des grands-mères sur lesquelles elle jette aussi du foin d’odeur, de la racine d’ours, du copal et une décoction de cèdre qui crée une vapeur remplie d’oxygène.

Un cheval au galop me transporte soudain par-dessus la frontière entre deux réalités : celle d’un cheval de ferme qui passe à côté de la hutte et celle d’un cheval préhistorique dessiné sur la paroi, un cheval aux yeux phosphorescents dont les sabots étincèlent de poussières d’étoiles.

Cinq heures plus tard, après avoir respiré à fond pendant tout ce temps, on sort de la hutte pour revenir à la réalité ordinaire. J’ai l’impression que le temps a disparu. La caresse du vent et l’eau de la cascade lavent tout reste de fatigue.