
Dans cet éblouissant premier hiver
la grande neigeur de ta disparition
nous sommes en deuil national de toi
homme croa-croa
chamane du Nord
rendu à ton aurore boréale
à la lumière du Mystère
Le froid souffle sur le cimetière de clarté
de Sainte-Agathe-des-Monts
Manitou magnifique
tu ouvres full grand les bras
pour prendre sur ton coeur brûlé
toute l’âme d’ombre des moins de vingt ans
qui voudraient se coucher sur les tracks
offrir leur détresse au firmament
et s’abandonner au grand flash de la Mort
Poète de notre noirceur
tu veilles
au seuil du Cap Éternité
(1997)
Dans les mois suivant la disparition de Gaston Miron le 14 décembre 1996, j’ai écrit ce poème en hommage au poète. J’enseignais alors la communication dans un cégep de l’Ouest de Montréal où j’étudiais L’homme rapaillé: les poèmes, mais aussi les textes sur la langue. J’avais invité Gaston Miron à venir rencontrer mes étudiants à quelques reprises et ils l’adoraient.
Ils avaient moins de vingt ans et l’une d’entre elles avait évoqué dans un exposé oral le suicide d’une de ses amies morte d’horrible façon. La classe était en larmes et l’effet était tel que j’avais dû interrompre le cours pour éviter la contagion. C’était moins d’un an après le référendum de 1995. Quand une revue m’a demandé un hommage au poète disparu, je venais d’assister aux émouvantes funérailles nationales de Gaston Miron dans sa ville natale et j’ai tout de suite pensé à ces jeunes désespérés à qui il avait insufflé un tel espoir de retrouver l’avenir.
Le poème est ensuite paru dans mon recueil D’ambre et d’ombre publié aux Écrits des Forges en 2000 et réédité en poche en 2003. J’évoque aussi ces années d’enseignement de l’oeuvre de Gaston Miron dans mon roman Des petits fruits rouges paru en 2001 dans la collection « Hiéroglyphe » que je dirigeais chez XYZ éditeur et traduit en anglais par Leonard Sugden sous le titre Little Red Berries chez Ekstasis Editions en 2008.