Fractale d’??meraude

3 Août

Emeraude

En faisant ses girations de derviche tourneur, Lalila est encore une fois tombée mollement sur la mousse et s’est mise à rire, étendue dans la rosée du matin. Se relevant d’un bond, elle a poursuivi son enchaînement, se concentrant pour éviter de penser à son nom de domaine en train d’être englouti dans les trous noirs du cyberespace.

 

Avant de commencer à écrire, elle a quand même vérifié sur son téléphone intelligent si le service de soutien technique avait répondu à son quatrième ticket. Il l’avait fait. Elle n’avait plus qu’à prier les dieux du Web que le technicien responsable de sa requête ait un scrupule à la laisser poireauter jusqu’à ce qu’à la fin de la période de grâce de 29 jours. Elle lui avait déjà parlé au téléphone et il lui avait paru un peu plus humain que les trois autres seuls employés de cette compagnie qui gérait pourtant neuf millions de noms de domaine à travers le monde!

 

Tout ça parce qu’elle avait supprimé son compte gmail depuis le moment où elle avait acheté son nom de domaine d’une compagnie qui avait été vendue à une autre qui se montrait maintenant très à cheval sur la vérification de son identité! Elle avait pourtant soumis un scan de son permis de conduire, mais ils avaient mis deux semaines avant de lui annoncer que le scan n’était pas assez clair. Elle en avait soumis un meilleur. Mais elle avait découvert, en surfant, que la compagnie en question avait très mauvaise réputation: ils étaient connus pour leur mesures dilatoires leur permettant ensuite de réclamer des sommes extravagantes pour que le client puisse récupérer son nom de domaine. 

 

Pour la première fois, elle avait le sentiment d’être en contact avec les forces noires de l’Internet. Elle savait bien qu’elles existaient, ces forces contraires, mais de les rencontrer de front, c’était autre chose. 

 

La veille, tandis que les énergies de la pleine lune du mois d’août commençaient à se faire sentir, elle s’était résolue à refuser leur chantage et s’était préparée à se détacher de ce site facile d’utilisation qu’elle nourrissait de poèmes, d’images et d’extraits de La rose des temps depuis plus de deux ans et auquel elle n’avait plus accès depuis que son nom de domaine était tombé dans les limbes.

 

Le choc qu’elle en avait ressenti l’avait épuisée. Elle avait fait une sieste de deux heures pendant l’orage de l’après-midi et en était sortie complètement regénérée, son champ magnétique mystérieusement réparé.

 

L’eau turquoise de la piscine caressée par un soleil éclatant qui avait chassé tous les nuages avait lavé ce qui restait d’inscriptions douloureuses en elle. Cette peur de perdre le contact remontait loin dans le temps: elle se revoyait à Mont-Laurier, petite fille, en visite chez ses grands-parents. Elle s’était réveillée en pleine nuit, avait marché dans la maison plongée dans l’obscurité, se demandant pourquoi il n’était pas là. Personne ne lui avait expliqué pourquoi il n’était plus jamais là. Elle n’avait plus revu le garçon en haut de l’échelle. Il était disparu dans des ténèbres inexplicables. Plus personne ne prononçait jamais son nom. Elle avait pourtant osé, au petit matin. Sa grand-mère avait répondu qu’il était allé camper avec son frère sur la montagne. Il existait donc toujours?

 

Maman lui avait fait des gros yeux et Lalila n’en avait plus jamais reparlé. Ce silence, ce silence qu’elle a gardé si longtemps, comme si une main la bâillonnait encore, elle le déchire mot à mot, phrase après phrase, livre après livre.   

 

Lalila lève les yeux du clavier de son portable, contemple la lumière qui ruisselle, émeraude, dans les feuillages des arbres remués par la brise et dans l’herbe reverdie par les fortes pluies de la veille. Le chat s’est installé juste à la frontière de l’ombre et de la lumière, ses pattes de sphinx étendues au soleil, son corps de lynx happé par le clair-obscur des grands  arbres, gardien de tous les secrets.    

 

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bsp;

extrait de ©La rose des temps 2012 

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