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La nuit des Perséides

12 Août

Assise à l’ombre d’un grand pin, je lis cette phrase dans un carnet de Claude :«Il y a un beau petit lac bleu dans le ciel en nuages». Sur l’intérieur de mon avant-bras court une minuscule araignée transparente que la brise n’arrive pas à déloger. Je souffle dessus, elle s’envole. Le ciel était aussi en nuages pour la nuit des Perséides. Le soleil joue entre les aiguilles du pin, la batterie de ma tablette faiblit à un rythme vertigineux.

La Grande Ourse

11 Août
Suis allée marcher dans la fraîcheur du soir. La Grande Ourse scintillait au-dessus de la petite route sombre. J’écoutais le chant des criquets et je me suis rappelé l’état d’exaltation dans lequel j’ai écrit en 1977 «La Grande Ourse, configuration du désir et de la peur, schéma de la possession». Le texte a été repris dans mon livre «Adrénaline» (Noroît, 1982). C’est probablement ce que j’ai fait de mieux.

La roue onomastique

21 Avr

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C’est le jour de Pâques et le soleil brille sur la rivière enfin libérée de son carcan de glace. Les promeneurs déambulent lentement le long de la rive, par petits groupes animés.

Des Maghrébines assises sur une couverture étalée sur le gazon fument le narguilé tandis que le petit garçon de l’une d’entre elles joue à un jeu vidéo très sonore sur un téléphone intelligent. Un cycliste transporte un chat abyssin sagement installé sur son coussin calé dans le panier. Deux jeunes hommes discutent du dernier match de hockey en marchant d’un bon pas, manoeuvrant vigoureusement les poussettes de leurs bambins qui clignent des yeux dans la lumière éblouissante.

Une jeune fille toute souriante transporte son nouveau-né dans un porte-bébé attaché sur son ventre. Dans un élan irrésistible, la narratrice se lève du banc d’où elle contemple la scène pour demander à voir l’enfant. Le bébé de quelques semaines à peine s’est endormi au creux des seins gorgés de lait de sa maman.

Quand la narratrice s’informe du nom de la petite fille, la jeune mère répond fièrement «Rose». La narratrice se rassoit, tout son corps parcouru d’un long frisson.

Au cours des quatre cent pages de ce roman sur le Temps qu’elle écrit depuis une éternité, la protagoniste s’est d’abord appelée Rose, avant qu’elle n’opte pour des prénoms de plus en plus rares. Dans l’état actuel du manuscrit, elle porte le nom de la déesse égyptienne du feu créateur et du féminin sacré, mère et magicienne.

La rose des temps tourne dans le plexus solaire de la narratrice et son intuition lui révèle que la roue onomastique est revenue à son point de départ: le personnage s’appellera Rose. Rose comme celle qui a dansé avec le Diable sur le Mercredi des Cendres; rose comme dans le centre énergétique du coeur, rose comme dans la chanson.

© La rose des temps 2014

Épiphanies radieuses

15 Fév

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L’animateur de France Culture demande au chercheur en intelligence collective du cyberespace de prédire un des résultats possibles de la surlangue qu’il est en train de mettre au point avec des ingénieurs.

Le chercheur répond que comme Second Life met en communication des avatars représentant des personnes, il imagine un espace sémantique virtuel qui permettrait aux esprits de se rencontrer, dans leur dimension mentale et émotionnelle.

Isis essaie de réfléchir à ce à quoi ce métavers sémantique pourrait ressembler.

La veille, elle est justement retournée sur Second Life où elle n’avait pas remis les pieds depuis des mois.

Elle voulait enregistrer quelques uns de ses haïkus en anglais pour le Web et s’était rappelé que le jeune Allemand du Cercle qui parlait un anglais sans accent appris dans World of Warcraft et autres jeux vidéos interactifs avait justement cet après-midi là une session où on utilisait le chat vocal sur Second Life.

Il accepterait sans doute de l’aider à prononcer correctement ses haïkus.

Elle était d’abord allée marcher dans la tempête de neige avec Trésor d’amour, mais elle était rentrée à temps afin d’ajuster le fonctionnement du micro-casque, entreprise toujours assez délicate.

Il lui avait fallu ensuite mettre à jour sa plate-forme de visionnement qui ne supportait plus toutes les fonctionnalités de Second Life, mais elle avait regardé un vidéo pour apprendre à migrer d’une plate-forme à l’autre et ça s’était assez passé assez rondement.

Elle avait vite repéré dans son inventaire une robe en forme de fleur dont elle avait revêtu son avatar et, voyant que le ninja était déjà en ligne, lui avait demandé, via la messagerie privée s’il donnait toujours la session en chat vocal dans le pub du village de leur Cercle.

Il avait répondu que non, il n’animait plus cette session depuis plusieurs mois car elle était de moins en moins fréquentée et qu’il assistait désormais à cette heure-là à des réunions en allemand sur des questions politiques.

Il avait ajouté qu’il vivait maintenant en Suède, avec  sa copine suédoise et qu’ils avaient un bébé de trois mois.

Isis s’était réjouie de cette bonne nouvelle et lui avait appris qu’elle avait elle-même depuis peu deux petites-nièces et un petit-neveu et que c’était une grande source de joie.

Au coeur de leurs coeurs, des petits enfants cristal semaient désormais des éclats de lumière et ils en avaient conscience.

Le ninja n’est pas sur Twitter et la cinéaste de New Delhi dont Isis lit régulièrement le blogue ne fréquente pas Second Life, mais elle vit au quotidien dans la lumière de ses trois petites filles qui sont à l’âge béni où aucune d’entre elles ne porte désormais de couches et où pas une n’a encore de téléphone intelligent.

Isis essaie d’imaginer ce qui se passerait dans la sphère sémantique si le coeur de la cinéaste indienne, celui du ninja allemand et son propre coeur pouvaient entrer en résonance, partageant ainsi les éclats cristallins émis par les sept enfants auxquels ils sont reliés biologiquement.

Elle raconte laborieusement ce qu’elle tente de conceptualiser à Trésor d’amour et lui pose la question: qu’est-ce que ça pourrait changer si leurs trois coeurs reliés à ces sept petits coeurs pouvaient vibrer simultanément avec les coeurs de toutes les personnes dans le monde qui sont aussi reliées à ces nouveaux êtres humains qui s’incarnent pour apporter la paix?

Avec son remarquable esprit de synthèse, Trésor d’amour en arrive tout de suite à une conclusion évidente: on ne tolèrerait plus que des enfants sur Terre meurent de faim.

Isis en a les larmes aux yeux.

C’est vrai: on ne tolèrerait plus que les enfants manquent de quoi que ce soit, qu’ils soient maltraités, exploités, objets sexuels ou enfants-soldats, massacrés comme en Syrie, au travail comme en Asie.

Les algorithmes qui leur permettraient de se connecter dans le coeur planétaire ne sont pas encore écrits, mais c’est sans doute cela la « nouvelle civilisation qu’on ne peut pas encore imaginer et vers laquelle on se dirige »dont parle le chercheur.

Isis rêve que ses fractales romanesques puissent réverbérer dans l’esprit de ses lecteurs,  créant un hologramme virtuel qui permettrait de voyager dans l’esprit universel, cette substance éthérique qui enveloppe leurs neurones, active leurs synapses et dissout leurs croyances, constellant leur ciel mental d’épiphanies radieuses.

Chantier d’écriture de © La rose des temps

Une passerelle dans le Temps

1 Fév

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Isis suit un compte géré par la Suède qui confie chaque semaine à un de ses citoyens le soin de tweeter, à sa manière, ce qu’il a envie de dire sur la version suédoise de vivre l’humanité.

Cette fois, c’est une expatriée américaine mariée à un Suédois qui tweete son intérêt pour l’astronomie.

Enfant, elle rêvait, raconte-t-elle en cent quarante caractères, de devenir astronaute ou, tout au moins astronome, mais elle s’est retrouvée dessinatrice de bandes dessinées.

Isis arrive au beau milieu d’une conversation entre la curatrice du compte de la Suède et un Chinois de New York qui lui apprend que la Voie Lactée se dit «Rivière d’argent» en cantonais, allant jusqu’à ajouter l’idéogramme à son tweet.

Curieuse, Isis remonte le fil Twitter du compte suédois, glanant les innombrables réponses des quelques 70,000 abonnés à une question qui semble être: «Comment désigne-t-on la Voie Lactée dans votre langue?

Elle apprend avec ravissement que les Premières Nations de la côte ouest canadienne parlent d’esprits qui dansent dans le ciel, les Maoris d’un long poisson, les Arméniens d’un anneau de lait.

Elle retweete le linguiste suédois qui vit en Nouvelle-Zélande et, s’adressant à la dessinatrice, lui demande si elle compte s’inspirer de ces brillantes métaphores véhiculées par la diversité des langues.

Au moment où elle lit sa réponse affirmative, Isis voit surgir un tweet d’un spécialiste de l’intelligence collective qui met en ligne une conversation qu’il a eue il y a quelques années avec un philosophe français qui, quant à lui, dénonce violemment  la malédiction de l’Internet. 

Ce qu’Isis vient pourtant de vivre avec un Chinois de New York, une Américaine de la banlieue de Stockholm, un Suédois de Nouvelle-Zélande et un Arménien d’elle ne sait où, c’est une expérience vivante d’intelligence collective en cours et c’est loin d’être une malédiction!

Le contenu de cette conversation étoilée sur les étoiles importe assez peu, chacun contribuant ses lumières à un projet de bande dessinée dont il ne verra sans peut-être jamais le résultat, car les amitiés instantanées du Web risquent de n’être que des feux de paille en ce premier jour de l’année chinoise du Cheval de Bois.

Tandis que le ciel se vide peu à peu de sa lumière, Isis commente sur sa tablette rétroéclairée le blogue d’un autre de ses contacts qui évoque  les espaces-nous de la sensitivité collective. 

Dans la pièce maintenant envahie par la nuit tombante, elle contemple les ombres qui dansent la sarabande autour d’elle: un oiseau de malheur à tête humaine, une claireaudiente d’un autre siècle, un djinn du désert qui lui a volé une chaussette.

L’intelligence collective de cette conversation dans le cyberespace a lancé des éclats de lumière dans son cerveau, long poisson de synapses en feu, esprits dansants dans son inconscient, anneau laiteux de leur galaxie qu’une poignée d’humains sur la Terre, réunis par le hasard, ont fait scintiller un moment d’images héritées d’anciennes humanités dont ils ont bien voulu se faire les messagers, créant ainsi une passerelle dans le Temps.

Chantier d’écriture de ©La rose des temps